Texte originalement publié ici : THEN/HiER
Au Québec, le débat sur le programme d’enseignement de l’histoire revient régulièrement dans l’actualité. Lorsque ce n’est pas le gouvernement provincial en place qui promet de faire plus de place à l’histoire politique, ce sont les groupes d’historiens nationalistes qui sortent pour invectiver un programme d’histoire qu’ils qualifient d’incohérent, d’anachronique et de fédéraliste tout en réclamant une nouvelle réforme au plus vite. Le gouvernement fédéral s’invite aussi dans les discussions sur l’histoire lorsqu’il met de l’avant, par exemple, une vision plus unificatrice, militaire, confédérative et conservatrice de ce que devrait être notre histoire (pensons aux « célébrations » entourant le 200e de la guerre de 1812).
Si l’histoire a bien un rôle quant à la cohésion et au maintien d’un certain tissu social, il ne faut pas la limiter à cette dimension narrative. L’histoire est une science reconnue pour sa méthode de « recherche de la vérité » très rigoureuse. Actuellement, parce qu’on adopte une attitude transmissive de l’histoire, on la dénature et on la transforme en outil d’endoctrinement. On la conçoit davantage comme un véhicule de contenus qu’une science. Si certains n’y voient aucun problème, ils devraient se référer aux derniers évènements qui ont fait la une. Qu’il s’agisse de l’offensive conservatrice ou de celle péquiste en matière d’enseignement de l’histoire, on voit bien les dangers qu’il y a à se limiter à promouvoir une narration, sélectionnée au gré des gouvernements élus à coup de 32%…
Alors, comment protéger l’histoire du politique[1]? Si on veut permettre aux citoyens d’aujourd’hui et de demain de se prémunir contre la propagande, il faut leur donner les outils intellectuels nécessaires. En histoire, ces outils sont de l’ordre de la méthode. Tenter d’enseigner l’histoire comme certains le font, en narrant un récit compartimenté, sans jamais (ou presque) prendre le temps d’enseigner le processus de construction de ce récit, c’est imposer « de force » une conception de l’histoire sans donner aux apprenants les savoirs-faires qui leurs permettraient de remettre en question ce qu’ils lisent et entendent. Il faut sortir de cette conception bancaire en histoire, les élèves ne sont pas des récipients videsqu’il faut remplir.[2] Cette approche bancaire de l’histoire ne développe pas le sens critique, ni la capacité de questionner et de se positionner face à un enjeu social ou une réalité quelconque.
Beaucoup sont sceptiques face au programme de formation de l’école québécoise en univers social (géographie et histoire). Les compétences sont mal vues, peu enseignées et elles apparaissent comme une perte de temps. Cesdites compétences sont, en fait, une transposition didactique[3] de la méthode historique dite « universitaire » vers une méthode historique adaptée aux élèves de 12 à 17 ans. Cela signifie-t-il qu’il ne faille plus rien apprendre en histoire? Qu’aucune connaissance ne soit nécessaire? Non. Il est impossible pour des apprenants (peu importe leur niveau) d’interpréter, de faire des liens ou de se construire une compréhension de l’histoire et des concepts qui s’y rattachent sans connaissances sur le sujet historique étudié. Ce que cela signifie, c’est qu’il faille construire activement, avec les élèves, une trame de fond narrative de l’histoire (qui respecte le programme) en mobilisant leurs connaissances antérieures et en développant certains aspects de la méthode historique (mis de l’avant dans le programme) afin d’éveiller chez eux un sens critique.
C’est de cette façon que nous protégerons la relève citoyenne de la propagande et de la désinformation politique et médiatique. C’est-à-dire par le développement d’outils intellectuels qui leur permettront eux-mêmes de décoder les produits de l’histoire auxquels ils seront confrontés toute leur vie, mais aussi en éveillant leur sens critique face à ce qu’ils lisent et entendent. Irréaliste me direz-vous? Ce n’est pas ce que la recherche en éducation tend progressivement à démontrer.
[1] Il faut voir ici le terme politique au sens large et ne pas le limiter à la dimension partisanne.
[2] Lire Paulo Freire, pédagogie des opprimés, au sujet de la conception bancaire de l’éducation.
[3] Processus de transformation du savoir savant au savoir enseigné – c.f. Y. Chevallard
(Vulgarisons : une transformation dans le but d’adapter aux apprenants concernés des notions de haut niveau)