Nous avons déjà abordé le thème de la ludification et plus précisément l’utilisation de Classcraft en classe (pour consulter ces articles, voir le mot-clic « ludification »). En guise de rappel, mentionnons que Classcraft est une plateforme web qui se présente sous forme d’un jeu auquel participent les élèves et leur enseignant. En bref, les élèves incarnent un personnage, sous forme d’avatar, et peuvent progresser dans le jeu en adoptant les comportements adéquats et, ce faisant, gagner des pouvoirs réels pouvant être exercés en classe (ex. sortir de la classe cinq minutes).
Le Didacticien utilise Classcraft depuis maintenant plus d’une étape scolaire. Maxime Quesnel l’a implanté avec trois groupes de sciences de première secondaire et Frédéric Yelle, quant à lui, avec deux groupes d’histoire de deuxième secondaire. Les deux enseignants travaillent dans des collèges privés différents et les élèves n’ont pas d’appareil numérique en classe.
Les objectifs sont multiples. Nous voulions nous doter d’un système de gestion de classe efficace qui nous permette, d’une part, de consigner les comportements inadéquats et, d’autre part, de souligner les bons coups des élèves lorsque ceux-ci se manifestent. Nous étions aussi curieux de jauger l’effet de cet outil sur la motivation des élèves (est-ce plus efficace auprès des garçons?) et de voir dans quelle mesure il pouvait permettre de consolider l’autonomie, l’autorégulation et l’entraide. De plus, à l’aide du système de pointage, nous voulions tenter de ludifier certaines périodes d’apprentissage.
Effet sur l’engagement (+)
Tout d’abord, l’effet de Classcraft sur l’engagement des élèves est manifeste. Ceux-ci sont aussi enthousiastes à l’idée de recevoir des points d’expérience ou de vivre un évènement aléatoire qu’au début de l’expérience.
De plus, chaque fois qu’un butin Classcraft est en jeu (qu’il s’agisse de points d’expérience ou de pièces d’or), le groupe (principalement ses électrons les plus instables) fournit un effort supplémentaire afin de parvenir à obtenir ce butin.
Généralement, les quêtes des élèves consistent à réaliser une tâche dans un temps donné tout en évitant les débordements (trop de bruit, perte de temps, déplacements inutiles) ou encore à fournir un effort particulier (plus de concentration, participation active, sérieux dans la réalisation de la tâche), soit en raison d’un retard à rattraper ou parce que le cours a lieu lors de la dernière période de la journée un vendredi après-midi. Le concept de quête s’avère également profitable lorsque la réalisation d’un devoir est nécessaire et que les élèves font preuve de relâchement dans leur assiduité. Une fois cet incitatif en place, le taux de devoirs remis à temps frôle généralement 100 %. Aussi, le jeu permet de différencier les tâches et d’ainsi varier les objectifs en tenant compte du niveau de rendement de chacun des élèves. Par exemple, les élèves plus performants peuvent se mériter des points pour une tâche supplémentaire, alors que les élèves éprouvant certaines difficultés peuvent quant à eux obtenir ces mêmes points pour avoir fait preuve d’effort.
Évidemment, certains élèves (environ un élève sur cinq, d’après nos constatations) ont moins adhéré au jeu malgré leur engagement initial. Sans s’opposer au déroulement du jeu, ceux-ci sont peu actifs le soir sur leur portail Classcraft. Ils ne personnalisent pas leur avatar et utilisent peu leurs pouvoirs. Malgré cela, ils se prêtent au jeu en classe, collectent leurs points d’expérience lorsqu’ils en ont l’occasion et ne semblent pas importunés par ses mécaniques. Évidemment, nos indicateurs (participation, réalisation des devoirs et des tâches, meilleure tenue lors de la réalisation d’une quête, fréquence de connexion au portail) ne sont pas à toute épreuve (nous nous basons sur ce que nous observons au quotidien), mais cela ne signifie pas que des élèves, en apparence moins stimulés par le jeu, n’éprouvent pas une certaine satisfaction lorsque nous leur octroyons des points d’expérience ou des pièces d’or pour souligner leurs bons coups.
Effet sur l’autonomie (+)
Un autre de nos objectifs consistait à développer de bons réflexes chez les élèves, notamment lorsqu’ils terminent une tâche plus rapidement que le reste du groupe. Pour ce faire, nous avons fourni aux élèves une grille de progression (voir ici pour exemple) que l’enseignant vérifie à trois moments durant le chapitre en cours. Chaque période de vérification est associée à une récompense Classcraft et la grille de progression comporte des exercices facultatifs pour les élèves plus rapides. Pour l’instant, cette démarche se révèle efficace, car ces élèves sont en mesure de poursuivre le travail sans devoir demander à l’enseignant ce qu’il convient de faire ; en outre, le butin Classcraft semble motiver ceux qui ont plutôt le réflexe de se tourner les pouces une fois la tâche initiale complétée. Il faudrait néanmoins tester la grille de progression sans l’incitatif Classcraft afin de pouvoir mesurer leur effet respectif sur l’autonomie des élèves.
Effet sur la collaboration (-)
Dans Classcraft, les élèves doivent former des équipes (généralement de deux à six joueurs). L’objectif vise non seulement à inciter les élèves d’un même groupe à se protéger grâce aux pouvoirs combinés de chacun et à bénéficier des avantages dont bénéficient les autres membres de l’équipe, mais aussi à maintenir l’esprit d’équipe « en dehors du jeu » afin, par exemple, de rappeler à l’ordre un membre de l’équipe qui aurait la mauvaise habitude d’oublier son matériel ou de déranger en classe, et ainsi éviter qu’il ne tombe au combat. Rappelons-le, lorsqu’un membre de l’équipe tombe au combat, c’est toute l’équipe qui en subit les contrecoups. Conséquemment, il est à l’avantage du groupe d’unir ses forces afin de venir en aide à ceux qui en auraient besoin.
Cet aspect semble néanmoins trop peu exploité. Malgré des rappels de l’enseignant, les élèves sont peu portés, par exemple, à s’échanger courriels ou textos pour se rappeler mutuellement les devoirs à faire ou encore à s’assurer que leurs coéquipiers ont bien le matériel nécessaire pour le prochain laboratoire. Nous avons même demandé aux élèves de rédiger un texte d’une page décrivant un objectif personnel à atteindre et d’y associer une solution d’équipe Classcraft afin de stimuler cette dimension du jeu, mais, jusqu’à maintenant, cela ne semble pas porter ses fruits.
Temps de gestion pour l’enseignant (-)
Classcraft est relativement simple à apprivoiser. Plusieurs ressources sont à notre disposition pour faciliter notre apprentissage ; même les créateurs sont très disponibles pour offrir de la formation ou encore pour répondre aux questions que nous nous sommes inévitablement posées au cours du processus.
Néanmoins, dans un contexte où les élèves n’ont pas d’appareil numérique, la gestion des pouvoirs (en plus des récompenses et des conséquences) repose entièrement sur l’enseignant. Il lui faut donc un certain temps pour clarifier avec les élèves les moments où ceux-ci pourront se prévaloir de leurs pouvoirs, le cas échéant, afin que le jeu s’intègre efficacement, mais discrètement aux cours.
Par ailleurs, la consignation systématique des conséquences et des récompenses devrait idéalement se faire instantanément en classe. Cependant, dans certains contextes, la leçon est prenante et, dans le feu de l’action, nous n’avons pas le temps de consigner tous les comportements. Conséquemment, les comportements, souhaitables ou non, ne sont consignés qu’après la leçon. Dès lors, l’effet désiré est potentiellement amoindri dû au décalage entre le moment de la consignation et celui où le comportement à renforcer s’est produit ; les élèves à qui les commentaires sont destinés n’en ayant possiblement pas connaissance au moment le plus opportun.
Dans le cas où nous arrivons à faire nos interventions durant la classe, nous avons trouvé difficile au début d’y parvenir efficacement. Tout d’abord, il faut accéder à la page Classcraft du groupe ; sélectionner l’élève ; appliquer la récompense ou la pénalité ; et, dans le cas du retrait de certains points de vie, demander aux coéquipiers s’ils désirent intervenir pour venir en aide à l’élève ciblé. Si avec le temps cette démarche devient plus intuitive, elle demeure relativement lourde.
Conclusion
Jusqu’à maintenant, nous considérons que l’intégration de Classcraft a un effet positif, principalement parce qu’il favorise l’engagement et l’autonomie des élèves. Néanmoins, le jeu en soi (ou la structure de nos cours) ne semble pas inciter suffisamment à la collaboration. Cet aspect qui nous apparait important mériterait d’être développé. Par ailleurs, quelques semaines ont été nécessaires (voire la première étape en entier) afin que soient bien intégrés les mécanismes du jeu (tant du côté de l’enseignant que des élèves). Nous avons aussi noté une certaine lourdeur au niveau de l’activation des pouvoirs ainsi que de l’application des récompenses et des conséquences. Peut-être que si nos élèves disposaient d’un appareil numérique en classe, l’expérience se serait révélée moins exigeante, puisqu’ils pourraient activer eux-mêmes leurs compétences.
Nous poursuivons actuellement l’expérimentation pour toute la durée de la deuxième étape, et réévaluerons le moment où il conviendra de retirer cet outil d’étayage et de faire un retour sur la question avec les élèves sur les objectifs éducatifs de Classcraft. De plus, le fait d’être passés à la version payante nous a offert de nouvelles possibilités (l’outil de quiz qui consiste à vaincre des boss avec les élèves nous semble particulièrement prometteur).
Un troisième billet suivra donc vers la fin de l’année scolaire 2015-2016 pour clore cette expérimentation et porter un jugement final sur cet outil de gestion de classe.
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