Jeu éducatif et ludification. Quoi et pourquoi?

Cet article a été écrit par Maxime Quesnel, conseiller technopédagogique au collège Mont-Saint-Louis, en collaboration avec :

  • Jean Desjardins, conseiller technopédagogique au collège Sainte-Anne à Lachine
  • Frédéric Yelle, conseiller technopédagogique au collège Ville-Marie.

Plus j’acquiers de l’expérience en tant qu’enseignant, plus je suis en mesure de définir ce qui, à mes yeux, constitue une période en classe réussie : des élèves engagés et en action, prêts à tout pour réussir une tâche. Ce serait mentir d’affirmer que mes élèves atteignent toujours cet état de grâce, mais j’ai envie de vous dévoiler la méthode qui m’a permis d’y arriver à quelques reprises, cette année : le jeu.

L’objectif de cet article est d’abord de démêler le vocabulaire relatif au jeu utilisé en éducation et, ensuite, de mettre en lumière les relations qui existent entre le jeu éducatif, la ludification et les approches théoriques de l’apprentissage.

Activité ludique, jeu, jeu vidéo, jeu éducatif, jeu sérieux, jeu de table, simulation et ludification…

Tout un lexique a été constitué depuis quelques années autour du jeu dans le monde de l’éducation. Même si celui-ci semble plutôt marginal dans les classes pour l’instant (Boutonnet, 2013), le jeu sous toutes ses formes semble faire l’objet de plus en plus d’intérêt depuis quelques années. Dans cette section, je vous présente, de manière à y voir plus clair, quelques définitions qui semblent maintenant faire consensus.

Le jeu et l’école

Il y a 1 500 ans, en Inde, on utilisait déjà le jeu comme outil didactique (Maidement et Bronstein, 1973) et la recherche sur le potentiel éducatif du jeu ne date pas d’hier. Callois (1958) par exemple propose de définir le jeu comme une activité libre, séparée de la vraie vie, dont le résultat est incertain, improductive (car elle ne crée pas de biens ou de richesses), réglée et fictive. Il est fascinant de constater que cette définition pourrait, dans une certaine mesure, s’appliquer aussi à ce qu’on constate des écoles aujourd’hui!

Plus près de ce qui nous intéresse, Sauvé et Kaufman (2010) déterminent qu’il y a trois types de jeu auxquels on peut avoir recours à des fins d’apprentissage. Leurs définitions identifient des attributs, des caractéristiques essentielles pour qu’une activité ludique entre dans l’une ou l’autre de ces catégories.

Tableau 1 — Attributs des différents types de jeu (adapté de Sauvé et Kaufman, 2010)

Jeu éducatif Simulation Jeu de simulation
Caractère artificiel Caractère artificiel
Joueur Joueur
Conflit Conflit
Règles Règles
But But (gagner)
Réalité simplifiée et dynamique Réalité simplifiée et dynamique
Réaliste Réaliste
Juste Juste

Si vous vous êtes intéressés au jeu éducatif ces dernières années, vous avez probablement entendu parler des jeux sérieux (serious games). Selon les définitions de Sauvé et de Kaufman (2010), ce type de jeu entre dans la catégorie du jeu de simulation. Vous aurez aussi remarqué que ni le médium employé (tablette, en ligne, de table ou sur console), ni le genre de jeu (combat, aventure, rôle, stratégie, sport, etc.) ne font partie des attributs. En fait, si ces qualificatifs peuvent s’avérer utiles pour décrire un jeu, ils ne déterminent pas son potentiel pédagogique. Le potentiel pédagogique est plutôt tributaire de l’intention d’apprentissage (Boutonnet, Joly-Lavoie et Yelle, 2014), comme tout autre outil didactique.

La ludification

Ce concept, comparable à première vue au jeu éducatif, s’en distingue assez clairement. Si on entend par jeu, une activité ludique pouvant être intégrée dans une séquence d’apprentissages, la ludification est plutôt considérée comme un processus intégrant les mécanismes du jeu dans un domaine de nature différente (Richardin, 2012). On a donc recours à des éléments tels les niveaux, les collections, les vies et les points pour engager le « joueur » dans une tâche. Par exemple, dans le cadre d’une série de cours portant sur l’accord des participes passés, un apprenant pourrait devoir cheminer dans différents «tableaux», dont la difficulté irait en augmentant, dans lesquels il aurait à en vaincre les monstres tout en accumulant des récompenses. En matière de ludification, Jean Desjardins, conseiller pédagogique au Collège Sainte-Anne, est un spécialiste ; pour consulter toutes ses références sur le sujet de l’application de la ludification en classe, voir ici. Pour lui, « ludifier, c’est scénariser une séquence d’apprentissages autour d’un thème. C’est aussi mettre au défi les élèves en ponctuant les apprentissages des dynamiques des jeux pouvant être pédagogiques, par exemple, débloquer des niveaux » (Desjardins, 2016).

De manière générale, la ludification est une stratégie d’apprentissage globale dans laquelle on peut, ou non, inclure des simulations, des jeux éducatifs et des jeux de simulation.

Pourquoi le jeu éducatif ?

Voilà la question ! Quel est l’avantage d’intégrer les jeux dans l’enseignement ? Il me semble que la réponse à cette question réside dans deux facteurs : la motivation qu’ils génèrent et les mécanismes d’apprentissage qu’ils mettent en scène.

Motivation

La pratique des jeux implique plusieurs processus : affectif, cognitif et communicationnel. Pour reprendre un exemple dont je me suis déjà servi dans un précédent billet : rappelez-vous votre dernière partie de jeu de table en famille ou entre amis. Qu’avez-vous ressenti ? Quelle stratégie avez-vous déployée ? De quelle manière êtes-vous entrés en communication avec les autres pour négocier ou contester, le cas échéant ? Vous avez certainement fait appel à certains savoirs pour prendre des décisions, puis moduler votre stratégie en fonction des nouvelles informations que vous aviez assimilées au fur et à mesure du déroulement de la partie. Vos compétences sociales, votre analyse du comportement des autres joueurs vous ont donné des indices sur la façon de vous comporter. Peut-être même avez-vous adopté une attitude sociale particulière (ex. leader) qui vous est inhabituelle ? Bref, sans vous en apercevoir, vous avez mobilisé des savoirs et déployé vos compétences en vous engageant dans la tâche.

Un jeu bien fait est un jeu intrinsèquement motivant !

Un jeu bien fait est un jeu intrinsèquement motivant. Plusieurs facteurs peuvent influencer la qualité d’un jeu, mais il est possible de les classer en trois catégories : qualité des instructions ; défi adapté au joueur ; et personnalisation (vitesse, effets visuels, rétroactions). Aussi, certains chercheurs (Frété, 2002 ; Crawford, 1984) expliquent que l’intérêt du jeu virtuel est d’abord l’apprentissage, suivi d’autres facteurs comme, la possibilité de se mesurer à soi-même, de transgresser des restrictions sociales, et d’établir de vrais rapports sociaux. De plus en plus de jeux de société sont collaboratifs. Y a-t-il plus belle récompense que de triompher ensemble?  

Le jeu et les mécanismes d’apprentissage

Différentes approches théoriques de l’apprentissage ont su résister à l’épreuve du temps, nous pouvons en distinguer trois : le béhaviorisme, le (socio)cognitivisme et le (socio)constructivisme.

BÉHAVIORISME

Selon cette théorie, l’apprentissage s’exerce lorsque l’on réagit à des stimulus extérieurs et intérieurs. Il est possible de modifier ou de moduler notre réaction en fonction des résultats (récompenses) que ce comportement nous procure.

À cet effet, le jeu éducatif offre la possibilité à un apprenant de tester différents comportements (recourir à diverses méthodes pour résoudre un problème, par exemple), puis valider sa démarche en vérifiant le résultat obtenu. Déjà en 1898, Thorndike mentionne deux lois complémentaires en ce qui a trait à l’apprentissage béhavioriste : la loi de l’effet et la loi de l’exercice.

D’abord, la loi de l’effet explique qu’un apprenant a plus de chances de répéter un comportement si ce dernier a produit un résultat satisfaisant. Le jeu, misant sur les rétroactions positives, exploite tout à fait ce constat. Puis, la loi de l’exercice, bien connue des enseignants, montre que la pratique d’un comportement qui donne des résultats positifs deviendra de plus en plus efficace (rapide). Il est question ici des exerciseurs répétitifs qui consolident les apprentissages des élèves. Or, la monotonie est un irritant majeur de ce type de moyen pédagogique. Le jeu peut briser, par son enrobage, cette monotonie. Rien ne prouve pour l’instant que les mécanismes des jeux-exerciseurs permettent de maintenir l’intérêt des élèves sur une longue période grâce aux mécanismes béhavioristes qu’ils mettent en place, mais ils ont l’avantage de diversifier les moyens à la disposition des enseignants lorsqu’une telle tâche est jugée nécessaire.

COGNITIVISME

L’apprenant est un ordinateur. Il perçoit des informations, les reconnait, les emmagasine, puis les récupère au moment voulu. Un dispositif d’apprentissage efficace mise donc sur l’ensemble de ces processus (Kozanitis, 2005). Selon les fervents de cette approche, l’apprentissage s’effectue lorsque l’apprenant fait constamment appel à des schèmes cognitifs pour réactiver des connaissances antérieures, puis les mobiliser. Le tableau ci-dessous esquisse des liens entre les processus cognitifs et les caractéristiques des jeux.

Tableau 2 : Liens entre les processus cognitifs et le jeu

Processus Caractéristiques du jeu
Métacognition Rappels et synthèse
Apprentissage fragmenté Niveaux et tableaux
Réactivation Historique et signets
Surapprentissage Synthèse et révision
Accent visuel Surbrillance et mise en évidence
SOCIOCONSTRUCTIVISME

Cette approche théorique mise sur le rôle de l’apprenant dans la construction de ses connaissances. Par exemple, sa perception d’un concept et ses connaissances antérieures reliées à celui-ci influencent l’apprentissage (Kozantisis, 2005). Aussi, elle met l’accent sur l’aspect social de l’apprentissage. En effet, dans le travail collaboratif, un élève peut confronter ses conceptions avec celles des autres, puis finalement se construire une conception personnelle d’une connaissance.

Selon Frété (2002), il existe plusieurs liens entre le jeu et le constructivisme :

Proximité du lien de l’action et de l’apprentissage

Exploration du contenu selon différents points de vue

Interaction sociale

Compagnonnage

Métacognition

En univers social, des chercheurs et des enseignants (Boutonnet et al., 2014 ; Sánchez et Olivares, 2011 ; Ter Minassian et Rufat, 2008 ; Yelle, 2014, 2015) ont proposé des démarches et modèles d’intégration des jeux vidéos. Ces auteurs puisent dans le socioconstructivisme et visent à mettre en oeuvre des situations d’apprentissage et des analyses mettant à profit ou portant sur l’usage du jeu (vidéo dans ce cas-ci) comme outil d’enseignement et d’apprentissage.

Conclusion

Jouez, vous apprendrez !

 

Références

Boutonnet, V., Joly-Lavoie, A. & Yelle, F. (2014). Intégration des jeux vidéo : Entre jeux sérieux et jeux traditionnels. Dans M.-A. Éthier, D. Lefrançois & S. Demers (dir.), Faire aimer et apprendre l’histoire et la géographie au primaire et au secondaire. Sainte-Foy : Multimondes.

Callois, R. (1958). Les jeux et les hommes. Éditions Gallimard.

Desjardins, J. (2016). La ludification dans ma matière. Repéré à http://sainte-anne-technopedagogique.weebly.com/ludification.html

Frété, C. (2002). Le potentiel du jeu vidéo pour l’éducation. Mémoire du DESS STAF, Université de Genève.

Kozanitis, A. (2005). Les principaux courants théoriques de l’enseignement et de l’apprentissage : un point de vue historique. Repéré à http://www.polymtl.ca/bap/docs/documents/historique_approche_enseignement.pdf

Maidement, R. et Bronstein, R.-H. (1973). Simulation Games – Design and Implementation. Colombus, Ohio: Charles E. Merril.

Richardin, A. (2012). C’est pas du jeu. Repéré à http://owni.fr/2012/06/07/la-culture-des-jeux-video-est-aux-fraises/

Sánchez, J. et Olivares, R. (2011). Problem solving and collaboration using mobile serious games. Computers & Education, 57(3), 1943‑1952. doi:10.1016/j.compedu.2011.04.012

Sauvé, L. et Kaufman, D. (dir.) (2010). Jeux et simulations éducatifs. Études de cas et leçons apprises. Québec : Presses de l’Université du Québec

Thorndike, E. (1898). Animal Intelligence: An Experimental Study of the Associative Processes in Animals. Columbia University, thèse de doctorat.

Ter Minassian, H. et Rufat, S. (2008). Et si les jeux vidéo servaient à comprendre la géographie ? Cybergeo. doi:10.4000/cybergeo.17502

Yelle, F. (2015). J’ai utilisé Civilization pour enseigner l’histoire!. ledidacticien.com

Yelle, F. (2014). Remue-méninges : l’usage du jeu vidéo pour enseigner l’histoire. ledidacticien.com

 

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