S’il existe un thème populaire dans le monde l’éducation depuis deux ou trois ans, c’est bien celui de la ludification. Cette expression, maintenant acceptée comme la traduction la plus juste du terme anglais gamification, correspond au processus mis en place par un formateur pour mettre à profit les mécaniques du jeu de manière à susciter et favoriser l’apprentissage (Lepage 2015).
Nous avons déjà exploré avec vous le concept de la ludification de la gestion de classe avec Classcraft; nous souhaitons ici traiter de l’utilisation du jeu comme moteur d’apprentissage.
En effet, l’intérêt que portent les chercheurs à la relation entre l’apprentissage et le jeu ne date pas d’hier. Schmoll (2011) effectue un survol des textes d’auteurs phares dans ce domaine et deux en particulier ont retenu son attention. D’abord, Froebenius, qui mentionne que « le jeu est le creuset de toutes les aptitudes à manier des représentations et à jouer des rôles sociaux ». En d’autres mots, le jeu prend une grande place dans l’éducation des enfants, notamment en ce qui a trait aux aptitudes interpersonnelles. Puis, Huizinga, allant encore plus loin avec l’idée que le jeu est au centre de l’univers social de l’humain, mais qui rompt avec les anciennes théories en soutenant que le jeu « précède la culture et lui donne en fait naissance ». En résumé, ces auteurs affirment que le jeu est au centre de la socialisation et joue donc un rôle d’une importance capitale dans l’éducation.
Pourquoi avoir recours aux jeux à des fins éducatives ?
Un des facteurs qui influencent le plus la qualité de l’apprentissage est la motivation (Viau 2000). Ce concept pousse l’apprenant à s’investir dans la tâche, à persévérer et à mobiliser plusieurs ressources pour réussir. À titre d’exemple, la plupart d’entre nous s’adonnent à une activité, un passetemps ou une passion sans compter les heures, et ce, pour la simple et bonne raison que nous nous y plaisons. Qui ne se souvient pas d’au moins une anecdote rappelant une légendaire partie de Risk ou de Monopoly où les passions se sont déchainées (comme la soirée où j’ai gagné la partie simplement avec les chemins de fer !). Bref, le jeu est intrinsèquement agréable, car ce n’est pas uniquement la récompense qui motive, contrairement, entre autres, aux heures passées à préparer un examen dans le but d’avoir une bonne note, mais l’action de jouer en soi.
Vous voulez des élèves motivés ? Faites‑les jouer.
Le jeu comporte un autre avantage : il donne aussi le droit à l’erreur, et il ne fait maintenant aucun doute que la « pédagogie par l’erreur » peut faire partie du coffre à outil d’un enseignant. En effet, il peut être embarrassant pour un élève de s’exprimer dans le contexte d’une classe traditionnelle et pour cause (peur du jugement, manque de temps, valorisation de la réponse attendue), mais dans le cadre d’un jeu, non seulement un joueur peut commettre une erreur sans subir les inconvénients décrits ci‑dessus, mais c’est par celle‑ci que le joueur progresse.
Comment utiliser les jeux à des fins éducatives ?
Pédagogie oblige, il importe d’abord de se fixer une intention ou un objectif. Le but visé par cette activité était que mes élèves apprennent le nom des instruments de laboratoire pour qu’ils puissent éventuellement user du vocabulaire exact dans la formulation de leurs hypothèses et de leurs démarches. J’ai essayé plusieurs stratégies didactiques par le passé : du cours magistral à la recherche guidée et, ayant instauré le jeu cette année, je constate que c’est cette méthode qui a livré les meilleurs résultats.
Je me suis servi du site web learningapps.org avec lequel j’ai combiné edu.challengeu.com. Le site learningapps.org est une plateforme qui permet de « programmer » des jeux en partant de modèles prédéfinis. C’est très convivial et rapide quoique l’aspect esthétique pourrait être grandement amélioré.
Pour cette activité, j’ai décidé d’employer le modèle classique du jeu de mémoire. Le jeu consiste en deux séries de cartes : une moitié représente des instruments de laboratoire, l’autre, leurs noms respectifs. L’objectif est de former les paires avec le moins de clics possibles.
Voici le jeu en question : http://LearningApps.org/view1592671
Liens entre mon activité ludique et le jeu
Attributs d’un bon jeu | Description | Éléments du jeu faisant appel à cet attribut |
Rejouabilité | Un élément de tout bon jeu que l’on peut définir comme l’intérêt que le joueur trouvera à rejouer à un jeu qu’il a déjà terminé. La plupart du temps, cet intérêt est motivé par la volonté du joueur à s’améliorer. | À la fin du jeu, l’élève doit noter dans edu.challengeu.com son nombre de clics et il est appelé à recommencer jusqu’à l’obtention d’un résultat satisfaisant. |
Présence du hasard (imprévisibilité) | Cet attribut fait en sorte que chaque partie est différente; cela accroît la rejouabilité tout en gardant le joueur à l’affût. | À chaque partie, les cartes sont placées aléatoirement, donc il est possible de terminer avec un résultat décevant par malchance ou, au contraire, un highscore, si le joueur a de la veine. |
Compétition | La compétition peut prendre deux grandes formes dans un jeu : entre les joueurs ou « contre » le jeu. Ici encore, cet attribut augmente la rejouabilité et garde le joueur à l’affût. | Les élèves sont en mesure de comparer leurs résultats à ceux des autres et une saine compétition s’installe, ce qui les motive à recommencer |
Motivation | Le jeu est motivant intrinsèquement et entre dans une boucle de rétroaction positive : on joue parce qu’on s’amuse; on s’amuse, donc on veut jouer encore. | Contrairement aux autres méthodes d’apprentissage, l’élève est en action et rapidement la motivation favorise l’engagement et la persévérance dans la tâche. |
Caractère éducatif | Le jeu, en général, a un rôle éducatif (voir plus haut), mais développe aussi certaines compétences (ex. lecture de carte, dextérité fine, collaboration, etc.) | Dans ce jeu, puisque l’élève répète souvent la même tâche et voit régulièrement le même contenu (image et nom des instruments), il intègre le vocabulaire voulu. |
Résultat de l’expérience : dix à quinze minutes de concentration totale de mes élèves face à la tâche avec, à la clé, une très bonne connaissance des noms des instruments de mesure.
Ludifiez, n’ayez crainte, on peut vraiment apprendre en jouant.
Références
Lepage, L. N. (2015). Ludification ou jouons ensemble pour apprendre ! Repéré à http://www.ludovia.com/2015/05/ludification-ou-jouons-ensemble-pour-apprendre/
Schmoll, P. (2011). Sciences du jeu : état des lieux et perspectives. Revue des Sciences Sociales, 45. Repéré à http://www.patrick-schmoll.com/pdf/2011-SciencesDuJeu.pdf
Viau, R. (2000). Des conditions à respecter pour susciter la motivation des élèves. Correspondance, 5 (3). Repéré à http://correspo.ccdmd.qc.ca/Corr5-3/Viau.html?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=des-conditions-a-respecter-pour-susciter-la-motivation-des-eleves