L’intelligence artificielle en éducation

Le monde : Quelle sera la prochaine révolution technologique en éducation ?

Le didacticien : L’intelligence artificielle (IA).

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De tous les outils technologiques que les pédagogues utilisent au quotidien, force est de constater que peu sont intelligents. Mais en fait, qu’est-ce que l’IA en éducation ? Quels sont les systèmes éducatifs intelligents actuels ? D’où proviennent ces systèmes ? Quelles approches pédagogiques soutiennent-ils ? Quelles sont les perspectives futures dans ce domaine ?

Dans cet article, nous tenterons de donner quelques définitions qui vous permettront, on l’espère, de vous approprier le sujet. Puis, nous offrirons un bref historique de l’évolution des systèmes intelligents.

Dans un deuxième article à paraître, nous vous offrons des outils numériques vous permettant d’intégrer l’IA à vos classes.

Quelques définitions…

Les environnements d’apprentissage intelligents sont définis par Bourdeau (2014) comme étant : « des environnements qui proposent des problèmes à résoudre ou des exercices dont le but est de soutenir l’atteinte d’un ensemble d’objectifs d’apprentissage. » (p. 1). De plus, ils embarquent une intelligence artificielle (IA) qui, au sens de Russell et Norvig (2010) a comme objectif de « doter l’ordinateur des capacités cognitives et sensorimotrices propres à homo sapiens. »

Historique des EAI

Environnement d’apprentissage assisté par ordinateur

Dans les années 70, les développements en informatique invitent certains pédagogues à se lancer dans l’ère des environnements d’enseignement assisté par ordinateur (EAO).

Ces premiers EAO, tels les systèmes de flash card automatisés (cartes mémoire), entre autres, sont préprogrammés et linéaires et présentent plusieurs failles : des « pages statiques sans relation explicite avec un objectif pédagogique », des « séquences pas-à-pas » qui ne s’adaptent pas à l’apprenant, des rétroactions identiques peu importe le type d’erreurs commis par l’utilisateur ainsi qu’aucune ou faible interaction entre celui-ci et l’environnement-machine (Bourdeau, 2014, p. 4).

Ce sont donc des systèmes très près de l’approche béhavioriste de l’apprentissage et s’organisent donc autour de ses lois.

Pour les béhavioristes, l’apprentissage est, en résumé, le fruit de la relation entre un stimulus et une réponse renforcée ou non par une récompense (De Vries et Baillé dans Grandbastien et Labat, 2006). Il suffit de plonger l’élève dans l’action, de le questionner et de lui donner une rétroaction positive ou négative pour que se mette en branle le processus d’apprentissage (De Vries et Baillé dans Grandbastien et Labat, 2006). Les EAO qui vont exploiter ce paradigme sont les cartes mémoire et les exerciseurs. Comme le notent les auteurs, malgré sa faible intelligence, ce type d’EAO peut s’avérer efficace pour « l’entraînement à la résolution de problèmes bien identifiés et délimités » (p. 35).

Les systèmes de tutoriel intelligents

Dans les années 80, Sleeman et Brown introduisent le terme intelligent tutoring system ou système tutoriel intelligent (STI). Les STI sont intelligents dans la mesure où ils simulent les trois caractéristiques d’un tuteur humain : les connaissances relatives au domaine à enseigner ; les connaissances pédagogiques et didactiques ; et la personnalisation en fonction de l’apprenant.

Essentiellement, il s’agit d’utiliser l’IA pour offrir un soutien constant, opérant et personnalisé lors de l’apprentissage. Parmi les premiers STI, on note BANDAID pour le langage de programmation Basic; SCHOLAR pour la géographie; ou SOPHIE pour l’électronique (Millward, Mazzucchelli, Magoon et Moore, 1978 et Paquette, s.d.).

Les STI sont donc plus associés au paradigme cognitiviste (De Vries et Baillé dans Grandbastien et Labat, 2006). En effet, les tenants de cette conception de l’apprentissage complètent les béhavioristes en s’intéressant aux processus cognitifs (perception, traitement, emmagasinage et réactivation des informations) qui ont lieu chez l’apprenant entre le stimulus et la réponse. En somme, comme le montre bien Nkambou, (s.d.), puisque le STI, selon la conception de Anderson, doit être en mesure de résoudre les problèmes qu’il pose à l’apprenant, il doit aussi être en mesure « d’acquérir les structures mentales pour le raisonnement » (diapositive 21). Il s’agit donc de munir le système intelligent de la capacité de percevoir, de traiter et d’utiliser les informations.

Aussi, De Vries et Baillé dans Grandbastien et Labat (2006) résument : « les tuteurs intelligents peuvent être qualifiés de cognitivistes dans la mesure où ils sont nés de l’ambition de représenter des connaissances expertes dans un modèle informatique couplé avec un modèle de la stratégie pédagogique pour leur transmission à l’élève. » (p. 33).

Les environnements d’apprentissage par la découverte

Parallèlement au développement des STI, dans les années 70, Papert conçoit Logo pour l’apprentissage des mathématiques et de la programmation, en « intégrant le courant cognitiviste en IA et les théories de l’apprentissage de Jean Piaget » (Bourdeau, 2014, p. 4, et Paquette, s.d.). Même si les résultats in fine dans le milieu scolaire ont été décevants, Logo, avec son inspiration piagétienne, fait entrer les EAI dans l’ère du constructivisme.

En effet, cette théorie de l’apprentissage découle des travaux de Piaget. De Vries et Baillé dans Grandbastien et Labat (2006) expliquent ceci : « selon le constructivisme, il faut étudier l’apprentissage comme un processus de construction de connaissances procédant de l’interaction entre un sujet et l’environnement dans lequel il évolue. » (p. 36). On souhaite donc que l’apprenant interagisse librement avec son environnement, qu’il le modifie et l’analyse de manière à ce qu’il en retire des apprentissages sous forme d’une construction personnelle du savoir. Évidemment, cette nouvelle idée amènera le développement de nouveaux environnements d’apprentissage intelligents basés sur la découverte (EAD).

On remarque plusieurs déclinaisons des EAD : micromonde, simulation, hypermédias et jeux sérieux (De Vries et Baillé dans Grandbastien et Labat, 2006 et Sauvé et Kaufmann, 2010).

Alors, quel est l’apport véritable de l’intelligence dans les environnements d’apprentissages numériques ?

L’une des caractéristiques centrales des EAI est l’adaptabilité à l’apprenant (Bourdeau, 2014). L’intelligence de tels systèmes réside donc dans la « capacité de l’EAI de modifier son comportement à partir d’inférences effectuées » sur l’état cognitif, métacognitif ou affectif de l’apprenant (p. 6). Bref, les EAI emmagasinent une tonne de données sur l’utilisateur pour inférer un profil de l’apprenant et en fonction de ce profil, déployer des stratégies et tactiques pour favoriser son apprentissage.

Questions de recherche

Le potentiel pédagogique des EAI est donc indéniable, mais plusieurs questions restent en suspens. Trois de ces questions de recherches qui nous apparaissent importantes pour l’avenir des EAI seront présentées dans la section ci-dessous.

D’abord, quelles sont la place et l’efficacité du dialogue en langue naturelle dans un STI ? Bourdeau (2014) explique que de nombreux travaux ont été menés sur ce point, malgré le fait que, du point de vue de la programmation informatique, le dialogue en langue naturelle entre un apprenant et une machine est plutôt chimérique. L’hypothèse derrière cette question se situe au cœur du caractère adaptatif des STI. En effet, est-ce qu’un dialogue naturel entre l’apprenant et le système favorise l’adaptabilité de ce dernier ? Certains systèmes (par exemple, celui de Mitchell, Ha, Boyer et Lester (2012) pour l’apprentissage de la programmation Java) semblent bénéficier d’un dialogue en langue naturelle.

Ensuite, en adoptant le point de vue d’un enseignant, on peut poser la question suivante : comment peut-on intégrer efficacement les EAI dans un scénario pédagogique en classe ? Avant de pouvoir y répondre, il faut d’abord considérer la position chronologique du dispositif informatique : celui-ci doit-il être utilisé en amont, concurremment ou en aval (pour l’évaluation) de l’apprentissage ? Puis, réfléchir au rôle que l’enseignant doit tenir pendant que les élèves travaillent dans le EAI. Doit-il abandonner entièrement le tutorat entre les mains de l’EAI et dès lors ne plus agir qu’à titre de simple surveillant ou doit-il intervenir dans la progression des élèves ? Si oui, comment ne pas nuire à l’EAI et par quels moyens rendre disponibles les informations concernant le modèle de l’apprenant à l’enseignant ?

Finalement, comment intégrer dans les EAI les pratiques pédagogiques soutenues par des données probantes (comme la rétroaction, l’enseignement explicite) et par les pairs, sans par ailleurs renoncer à tout le potentiel des EAD et du constructivisme ? En effet, depuis 2009, grâce à la publication par John Hattie d’une méta-analyse sur l’apprentissage visible, on en connait plus à présent sur les pratiques pédagogiques efficaces (Hattie, 2012). Si la rétroaction semble facilement intégrable aux EAI, des stratégies comme l’enseignement directif (explicite) ou par les pairs apparaissent plus difficiles à inclure. Aussi, et cela n’est pas seulement le cas dans le domaine des EAI, ces méthodes découlent du cognitivisme, alors que les programmes et les contenus de formation, du moins au Québec, sont issus de l’approche constructiviste. Bref, il faudra, pour les développeurs, imaginer des approches mixtes qui, tout en laissant certaines libertés aux apprenants, peuvent être compatibles avec les méthodes d’enseignement jugées comme efficaces par la recherche.

Conclusion

En conclusion, les environnements d’apprentissage intelligents (EAI) font partie du paysage pédagogique depuis les années 70. Ce sont des systèmes qui proposent des problèmes aux apprenants tout en misant sur l’IA pour effectuer des interventions pédagogiques adaptées.

Finalement, dans le domaine des EAI plusieurs questions demeurent en suspens. On note la problématique du dialogue en langue naturelle dans les STI, la place de l’enseignant lors de l’utilisation des EAI en classe et l’intégration des pratiques pédagogiques réputées comme efficaces dans les systèmes.

Références bibliographiques

Baulac, Y. (1990). Un micromonde de géométrie, Cabri-géomètre (Doctorat, Université Joseph-Fournier, Grenoble). Repéré à https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00336438/document

Basque, J., Doré, S. (1998). Le concept d’environnement d’apprentissage informatisé. La revue internationale de l’apprentissage en ligne et de l’enseignement à distance. 13(1). Repéré à http://www.ijede.ca/index.php/jde/article/viewArticle/136/426

Bourdeau, J. (2014). Le domaine des environnements d’apprentissage intelligents. Repéré à https://m2.teluq.ca/pluginfile.php/23432/mod_page/content/10/vfDomaineT_TED6520.pdf

Chee, Y. S. et Tan, K.C.D. (2012). Becoming Chemists through Game-based Inquiry Learning: The Case of Legends of Alkhimia. Electronic Journal of e-Learning. 10(2), 185-198.

Grandbastien, M. et J.-M. Labat (dir.), (2006). Environnements informatiques pour l’apprentissage humain. Paris : Lavoisier.

Hattie, J. (2012). Visible learning for teachers. Maximizing impact on learning. Abingdon : Routledge.

Hollan, J.D., Hutchins, L.E. et Weitzman, L. (1984). Steamer : An interactive inspectable simulation-based training system. AI Magazine. 5(2), 15-27.

Millward, R., Mazzucchelli, L. et Magoon, S. (1978). Intelligent computer-assisted instruction. Behavior Research Methods and Instrumentation. 10(2), 213-217.

Mitchell, C.M., Ha, E.Y., Boyer, K.E. et Lester, J.C. (2012). Recognizing effective and student-adaptative tutor moves in task-oriented dialogue. Proceedings of the twenty-fith international florida artificial intelligence research society conference. Repéré à https://www.aaai.org/ocs/index.php/FLAIRS/FLAIRS12/paper/viewFile/4461/4845

Nkambou, R. (s.d.). Introduction aux systèmes tutoriels intelligents. Repéré à http://gdac.uqam.ca/inf7470-A12/seance3-2pp.pdf

Paquette, G. (s.d.). Les environnements d’apprentissage intelligents. Repéré à http://www.teluq.ca/expl_inf5100/pdf-doc/txt17.pdf

Sauvé, L. et Kaufman, D. (dir.) (2010). Jeux et simulations éducatifs. Études de cas et leçons apprises. Québec : Presses de l’Université du Québec.

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